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Dieux et religion
 

Quelques dieux


Amon
Thot
Khonsou
Hathor
Mandoulis

La religion égyptienne est source d’étonnement, voire de fascination, dès les anciens Grecs. De l’extérieur, les dieux à tête d’animaux, le syncrétisme des formes divines, semblent exotiques à plus d’un titre. Mais sait-on partout en Occident qu’au lieu d’être chrétiens, la plupart des Européens ont failli être isiaques ? Parmi tous les cultes orientaux en vogue à Rome, celui d’Isis était particulièrement répandu, et seules les persécutions exercées par les chrétiens d’une part, et l’interdiction des cultes non chrétiens formulée par l’Edit de Constantinople de 391 d’autre part, l’ont abattu. On trouve des statues d’Isis dans tout l’empire, comme à Lutèce (voir le Musée de Cluny à Paris).

Des sources éparses | Dieux locaux, dieux de l'empire | Dieux uniques, multiples et syncrétiques | Piété personnelle et théocratie | Postérité | Note : les déesses | Bibliographie

Des sources éparses


Fragment d'un livre des morts au Musée du Louvre

Depuis la naissance de l'égyptologie moderne, au XIXe siècle, la façon de considérer la religion égyptienne a évolué, reflétant les mentalités des chercheurs et de leur époque. On a pu la qualifier de fétichiste, de polythéiste, voire de monothéiste. Cependant, il n'est pas sûr qu'entrer dans ce débat soit scientifiquement très solide, et il importe d'abord de décrire et d'analyser avant, éventuellement, de catégoriser.

Les connaissances sur la religion égyptienne, si elles ont considérablement progressé grâce aux travaux des égyptologues du XXe siècle, restent pauvres comparées à celle que l'on sait des religions vivantes ou des croyances grecques et romaines, transmises par les classiques. Il n'y a pas de textes canoniques semblables à la bible ou aux sûtras. Seule une partie des textes mythologiques est reconstituée, mais ceux-ci n'ont jamais formé de canon immuable et sacré, comme le montrent leurs variantes dans l'espace et dans le temps. Certains rituels de temples, de nombreuses prières et compositions funéraires ont également été conservés. L'iconographie religieuse, riche, sophistiquée mais délicate à interpréter, complète la vision que les modernes peuvent avoir de la religion égyptienne.

Deux caractéristiques marquent particulièrement le monde des dieux égyptiens : le lien entre la religion et la géographie d'une part, le syncrétisme d'autre part.

Dieux locaux, dieux de l’empire

Le territoire égyptien s’organise autour de circonscriptions que l’on appelle, d’après les Grecs, nomes. Leur nombre varie de 38 à 42 au cours de l’histoire. Peut-être héritiers des chefferies indépendantes existant avant l’unification de l’Egypte, il y a à peu près 5000 ans, ils sont représentés par des enseignes (voir notamment les palettes prédynastiques comme la palette de Narmer) sur lesquels sont perchés des dieux ou leurs symboles. Même si on peut parfois déterminer une origine étrangère à certaines divinités, la plupart ont, à l’époque historique, un ancrage géographique très net. Ainsi Rê est héliopolite, Ptah est memphite, Thot hermopolite, Amon thébain, Bastet bubastite, Khnoum éléphantin, Seth ombite, Min coptite.


Statue de Thouéris provenant d'un naos de Karnak. Mariette, Monuments divers, 90.

Toutefois, sans doute pour prévenir le régionalisme sur fond de concurrence religieuse qui prévaut par exemple dans la Mésopotamie ancienne, les dieux égyptiens s’exportent facilement dans d’autres provinces, mêmes éloignées. Ainsi la déesse Neith, originaire de Saïs dans le Delta, se joint à Khnoum à Esna, en Haute Egypte, et y devient plus importante que son parèdre à l’époque tardive. Un certain nombre d’entre eux est même promu au rang de dieux nationaux par le pouvoir. Rê, Ptah, Amon, Osiris sont vénérés partout en Egypte.

Parfois, ce sont les fonctions des divinités qui leur font acquérir une résonance nationale. Thot, dieu de l’écriture et de la connaissance, est le patron des scribes, Ptah, le créateur intellectuel, est le patron des artisans, la déesse hippopotame Thouéris préside aux accouchements, le nain grotesque Bès protège les maisons, etc.

Souvent, à chaque temple qui lui est consacré, le dieu prend un nom différent, et parfois des attributs originaux, un peu de la même manière que la Vierge Marie en France (certaines Saintes Vierges locales ont, dans la tradition populaire, des pouvoirs de guérison, et un nom particulier, commençant par exemple par « Notre Dame de… », et pourtant la religion catholique ne connaît qu’une Vierge Marie).

Plus déroutant pour l’esprit moderne, presque chaque dieu prend, en ses temples, une importance théologique démesurée qui paraît en contradiction avec les canons « classiques » de la mythologie ou tout simplement d’autres traditions textuelles. De nombreuses divinités se présentent comme ayant créé le monde. Il existe donc plusieurs théologies. Les plus célèbres sont les théologies memphites et héliopolitaines. Selon les prêtres d’Héliopolis, l’univers aurait été créé par Atoum (plus tard Rê-Atoum), par masturbation ou expectoration. Pour les Memphites, c’est Ptah qui aurait conçu le monde par la force de sa pensée et de ses mots. Apparemment, ces contradictions ne posaient pas de problèmes intellectuels aux anciens Egyptiens, et chaque mythe était une façon d’approcher la complexité des choses.

Cette cohabitation harmonieuse de différentes traditions est facilitée par le caractère syncrétique de la religion égyptienne.

Dieux uniques, multiples et syncrétiques

Certaines compositions littéraires ou religieuses parlent de « dieu » sans préciser lequel. Quelques égyptologues ont donc pensé que la religion égyptienne avait pu être vécue comme monothéiste. Cette opinion apparaît aujourd’hui fortement biaisée, mais il est clair que le « concept de divinité » existe en Egypte ancienne. Des dieux, comme Amon-Rê, sont qualifié « d’unique ». Mais ce n’est que durant le court règne du roi hérétique Amenhotep IV / Akhénaton qu’un culte, celui d’Aton, le disque solaire, ne tolère pas les autres. Cet épisode, sans doute aussi politique que religieux, reste une exception, et les croyances égyptiennes présentent de nombreuses divinités uniques.

Il existe également des groupements de dieux. Les plus fameux sont l’Ennéade d’Héliopolis (et sa variante de Haute Egypte, l’Ennéade de Karnak) et l’Ogdoade d’Hermopolis. Ces « assemblées » regroupent souvent des divinités « primordiales » (c’est à dire présentes dès les débuts du monde). Elles ont notamment des fonctions juridictionnelles, et forment des catégories hiérarchiques dans le monde divin. Leur composition est variable dans le temps et l’espace, malgré quelques constantes. De plus, à partir du Nouvel Empire semble t-il, de nombreux dieux sont associés en « triades » père-mère-enfant, à la manière de la triade thébaine regroupant Amon-Rê, Mout et Khonsou.


La grande Ennéade de Karnak figurée sur le temple de Khonsou (XXIe dynastie). Elle comprend Montou, Atoum, Shou et Tefnout, Geb et Nout, Osiris et Isis, Seth et Nephtys, Horus et Hathor, Tjenen et Iounyt (TK I, 71)

Le plus remarquable est que les dieux peuvent s’associer pour créer de nouvelles entités divines. Ainsi, à côté des nombreuses variantes locales de Khonsou existe t-il aussi un Khonsou-Rê, un Horus-Khonsou et un Khonsou-Thot et un Khonsou-Iâh. Lorsque, sans doute pour favoriser son dieu éponyme, Amenemhat I entend donner une importance plus grande à Amon, on crée Amon-Rê, qui reprend ainsi tout le prestige et le pouvoir de Rê, dieu solaire et dynastique. L’iconographie s’enrichit d’attributs des deux dieux, et Amon-Rê est donc souvent représenté avec le disque solaire dans sa coiffure. C’est ce que l’on appelle le « syncrétisme » de la religion égyptienne.

Ce syncrétisme se fait parfois de façon moins transparente. Lorsqu’Osiris supplante l’ancien dieu Khentyamentiu à Abydos, il reprend d’autant plus facilement certaines de ses caractéristiques qu’ils sont tous deux des divinités funéraires. Mais seule l’archéologie permet de deviner l’opération.

Piété personnelle et théocratie


Hathor donne la vie à Thoutmosis III

Bien sûr, plusieurs niveaux d’analyses sont possibles, et les anciens Egyptiens ne vivent pas leur religion de la même façon ; en cela ils ne diffèrent aucunement des hommes d’aujourd’hui. Certains sont profondément pieux, d’autres cyniques ou sceptiques, n’hésitant pas à inscrire leurs doutes sur les murs de leur tombeaux (voir notamment les « chants du harpiste » constatant que « personne n’est jamais revenu de l’Au-Delà » pour décrire comment c’est, et qu’il importe donc de jouir de la vie).

Mais en Egypte, comme dans la plupart des sociétés (cela ne fait que peu de temps que le christianisme n’est plus au centre de l’Etat en France, mais il l’est encore pour une large mesure aux Etats-Unis par exemple), la religion est d’abord un des moyens de la politique. Les offrandes des rois aux dieux permettent notamment de légitimer l’action politique. Pharaon, en offrant Maât, la vérité-justice, montre qu’il maintient l’ordre du monde, de la même manière que les dieux combattent chaque nuit le serpent Apophis qui tente d’avaler le soleil. Il établit ainsi sa légitimité à gouverner.

L’autre vocation de cette religion, mais là encore, ce n’est pas très éloigné de la situation moderne, est de réguler la société par des règles morales transcendantes. Comme dans les croyances des religions de la Bible, de l’hindouisme et du bouddhisme, les actions de l’homme durant sa vie déterminent son destin au-delà de la mort (à partir de la fin de l’Ancien Empire). Le défunt est conduit devant le tribunal d’Osiris, et si ses péchés sont trop nombreux il est anéanti par la Dévoreuse. En revanche, s’il est juste, il accède à la vie éternelle.

Postérité

La religion égyptienne a survécu quelques années après son interdiction officielle en Egypte, et un peu plus longtemps au royaume de Méroë, au Soudan. Mais tant le christianisme que l’islam, tout en détruisant, n’ont pu, pour s’imposer dans les cœurs populaires, que reprendre en transformant certaines traditions anciennes. Des fêtes religieuses ont ainsi gardé la même date, mais ont été christianisées puis islamisées. Des cultes locaux ont perduré, les dieux païens se transformant en saints folkloriques.

En Occident, la fascination pour les croyances égyptienne s’est notamment transmis à travers les textes alchimistes, héritiers de la philosophie gréco-égyptienne et du gnosticisme. Réduite à la magie et aux mystères, certains de ses symboles se sont retrouvés dans la franc-maçonnerie et d’autres sociétés secrètes.

Aujourd’hui, des sectes comme les Roses-Croix tentent de faire revivre une religion égyptienne de pacotille, surfant sur la vague New Age et la fascination occidentale sur l’Egypte ancienne. Un jour, à Karnak, j’ai vu un groupe de touristes habillés en blanc faisant des rondes autour des piliers de la grande salle hypostyle, psalmodiant des « hmmmmm » inspirés, puis se dirigeant vers le sanctuaire de barque de Philippe Arrhidée qu’ils prenaient pour le saint des saints. Après leur départ, des Egyptiens hilares criaient « Amun, Amun » dans le temple.

Plus sérieusement, la religion égyptienne demeure un sujet d’étude passionnant. Si de riches progrès ont été faits ces dernières années, de nombreuses études restent encore à faire, période par période, lieu par lieu, pour tenter d’affiner notre connaissance de croyances qui ont évolué pendant plus de 3000 ans.

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3/12/01- 12/12/05 Renaud de Spens. (photo de Thoutmosis III : Florence Gombert).

Note : les déesses

Les principaux caractères des déesses sont soit d'être nourricières et bienfaisantes, soit d'être éminemment agressives et potentiellement dangereuses. Elles présentent souvent une ambivalence de caractère comme la déesse lionne Sekhmet dont la contrepartie « câline » est la déesse chatte Bastet. Il existe peu de déesses égyptiennes qui soit définitivement classable dans une seule fonction spécifique et définitive, comme la déesse Nephtys. La plupart empruntent les attributs ou les fonctions de quelques autres. Au détour d'un mythe, à la faveur d'un lieu, d'un rituel ou pour des raisons de symétrie sur une paroi, elles adoptent ainsi des formes variées et parfois inattendues.

Ainsi, la déesse Hathor peut être une vache nourrice de Rê, cependant, elle peut aussi être considérée comme sa fille, c'est-à-dire son oeil brûlant et dès lors se manifester sous la forme d'un serpent. Les formes comme les fonctions se dessinent par associations. Si telle déesse présente une forme bovine elle pourra emprunter des caractères à d'autres déesses de même forme. [Florence Gombert]