A
quelques centaines de mètres du musée en
plein air de Memphis (situé aux portes de Mit-Rahina)
quelques restes de monuments antiques apparaissent encore
entre les palmiers et les remblais de terre.
La
nécropole de Saqqarah, prise d'assaut par les autobus
des tours-opérateurs, n'est pas loin à la
lisière du désert occidental. Sa notoriété
occulte presque totalement la présence de ces vestiges,
derniers témoins in situ de ce que fut Memphis,
l'une des plus cosmopolites capitales du monde antique.
L'étendue
qu'elle occupait jadis est actuellement partagée
entre El-Badrashein, où passe la ligne de chemin
de fer et Mit-Rahina. L'espace entre ces deux bourgades
est occupé par une palmeraie, des champs et des
terrains vagues, domaine des chèvres et des jardins
familiaux.
Photo 1. Tombes
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Quatre
ensembles de constructions sont particulièrement
visibles dans cette zone. Il s'agit tout d'abord d'un
groupe de tombes (photo 1) très dégradées
et remplies de déchets, situé le long de
la route goudronnée qui mène à la
nécropole. Puis, non loin de là, sur la
droite, dans une faible déclivité, une toute
petite chapelle restaurée et des restes de parois
décorées de reliefs (photo 2).
Photo
2. Temple de Ptah
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A
l'entrée de Mit-Rahina, on remarque les vestiges
arasés d'un autre bâtiment, plus important
dont le plan au sol est encore visible sur un site difficilement
accessible et vaguement clôturé. L'édifice
aurait appartenu au palais que le pharaon Amasis avait
fait aménager dans le domaine de Ptah.
C'est
cependant un peu plus loin, dans le village même,
au milieu d'un champ de blocs, qu'émerge nettement
un alignement de bases de colonnes un peu plus évocateur.
Il s'agit là des ruines d'un aménagement
datant du règne de Ramsès II qui prolongeait
le temple de Ptah et qui, par les hasards du temps et
de la transformation du milieu due à l'occupation
humaine, se retrouve aujourd'hui dans une cuvette perpétuellement
envahie d'eau saumâtre au centre de ce qui apparaît
clairement comme une...décharge publique.
Bandeaux
de textes et détritus
En
ce lieu, nul gardien, aucun péage, aucune barrière.
Le contraste avec le plateau de Saqqarah est saisissant.
L'accès au site est relativement aisé, c'est
d'ailleurs l'aire de jeux préférée
des gamins du coin, entre deux camions qui déchargent
un peu plus haut leurs bennes de gravats.
Les
ruines occupent un vaste espace, envahi d'eau croupie
profonde d'une vingtaine de centimètres au centre
où dérivent des sacs plastiques, des bidons
et divers résidus de boîtes métalliques.
C'est un champ de blocs épars, délimité
sur trois côtés par les assises d'un mur
d'enceinte en granit orné encore de bandeaux de
textes marqués aux noms de Ramsès II et
Mérenptah. Quatre bases de colonnes sont encore
visibles, alignées devant un mur arasé percé
d'un portique dont subsiste le seuil et quelques traces
de textes.
Deux
socles de colosses matérialisent , de l'autre côté
de cette entrée, une nouvelle partie du bâtiment
disparu. On a consolidé leur position en les étayant
avec des blocs soudés au ciment.
Photo 3. Cartouches de Ramsès
II au dos d'un groupe assis
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Au
hasard du parcours, on trouve parmi les débris
à demi enterrés ou affleurant la surface
des eaux des éclats de granit très usés
appartenant à des statues (photo 3) ou des
pièces architecturales (photo 4) et partout
où se tourne le regard, des monticules de déchets
mêlés au sable et à la terre qui semblent
avancer inexorablement et menacer de recouvrir le site
dans l'indifférence générale.
Photo 4. Corniche marquée
aux cartouches de Ramsès II
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Si
ce n'était le passage des véhicules sur
la route non loin de là et les cris des enfants
en joyeuses bandes qui sautent d'un bloc à l'autre,
brisant souvent dans leurs jeux des morceaux de pierre
qu'ils jugent sans importance, l'endroit paraîtrait
mort.
Quelque
part il l'est effectivement et cet état de désolation
ne peut pas laisser indifférent d'autant que, par
le passé, sans être toutefois réellement
protégé, le lieu ne souffrait pas d'une
telle pollution. Une photo prise dans les années
1960 et publiée en carte postale dans le fond photographique
Lehnerdt et Landrock, au Caire, le montre assez clairement.
Faut-il
en arriver à espérer que les détritus
recouvrent vite la totalité de la zone ? Elle serait
ainsi moins exposée aux agressions extérieures
issues du désintérêt ou de l'ignorance,
et préservée à la manière
de l'hypostyle de Khnoum à Esna que les archéologues
mirent à jour sous une chape protectrice de plusieurs
mètres de déchets.
Manque
de moyens et d'intérêt...
Le
cas de ces ruines n'est pas unique en Egypte. Un certain
nombre de sites, en effet, sont ainsi laissés à
l'abandon par faute de moyens, de motivation, parce qu'ils
sont trop éloignés des chemins touristiques
également ou qu'ils ne sont pas suffisamment évocateurs.
Les
autorités locales rencontrent, par ailleurs, certaines
difficultés pour gérer la multiplicité
des programmes de fouilles, égyptiens comme étrangers
en cours.
C'est
une logique bureaucratique qui prédomine, avec
tout ce qu'elle implique en terme de lenteurs administratives,
de frictions et d'inertie. Sous le prétexte d'empêcher
que les dégradations perpétrées jadis
au nom de l'art ne se reproduisent, d'une manière
ou d'une autre, les ministères et commissions concernés
ne favorisent pas l'ouverture aux chercheurs de champs
nouveaux d'investigation, a fortiori dans ce type de régions
situées à la limite de prestigieuses zones
de fouilles.
Pourtant,
les effets du laisser-aller peuvent être pires que
ceux d'une égyptomanie gourmande. Et plus encore
quand la population n'est pas sensibilisée aux
richesses de son patrimoine parce qu'elle a d'autres motifs
de préoccupations beaucoup plus urgents et vitaux
et que sa culture ne l'y prépare en rien. L'âge
des pharaons reste ici pour l'immense majorité
l'âge des « païens ».
Et
cette considération peut être lourde de sens
dans un pays où l'être humain se définit
avant tout par son appartenance à une communauté
religieuse reconnue, c'est à dire une religion
du Livre.
La
particularité de cette aile du temple de Ptah,
c'est le danger à court ou moyen terme que lui
fait courir l'occupation humaine de ses environs. C'est
un scénario identique à ceux que connaissent,
à une plus importante échelle, les pyramides
de Giza, encerclées par la ville ou certains monuments
d'Alexandrie menacés par une digue ou une route.
Le
site n'a pas fait l'objet d'une étude systématique,
au moins pas depuis plusieurs années si cela a
jamais été tenté. Il mériterait
pourtant qu'on s'y intéressât de plus près
étant donné le peu de témoignages
significatifs qu'il subsiste encore de ce que fut Men-Néfer,
la Balance des Deux Terres. Pourtant, comme souvent dans
pareil cas, avant même de songer à une étude
éventuelle un jour prochain, il y a plus urgent
dans l'immédiat : la préservation du site.
Des
mesures simples...
L'Etat
égyptien ne peut être partout. Logiquement,
il reviendrait aux collectivités locales, à
l'échelle du gouvernorat ou des bourgades de Badrashein
et Mit-Rahina avec les moyens dont elles peuvent disposer
de prendre le relais.
Pour
les raisons citées plus haut, et pour d'autres
encore, rien ne semble plus difficile à mettre
en oeuvre. Il faudrait pour cela régler quelques
problèmes matériels tenaces, changer les
mentalités et faire évoluer la conception
que les Egyptiens ont de leur propre passé.
Or le site ne pourra pas attendre l'aboutissement de cette
mini révolution, il disparaîtra avant si
une dose de bonne volonté doublée de quelques
mesures simples, n'engageant pas d'investissements astronomiques,
ne viennent pas à son secours rapidement.
Dans
un premier temps, il serait impératif d'isoler
la zone en profitant de sa situation encore libre de toute
habitation proche pour poser une clôture gardée
par du personnel engagé à Mit-Rahina même
(c'est ainsi qu'on a procédé pour les vestiges
ptolémaïques et romains mis à jour
dans la région frontalière et isolée
de Siwa, une façon de sensibiliser les gens du
cru à leur patrimoine).
Cette clôture devrait assurer le lieu contre les
dégradations humaines. Se poserait toujours le
problème de la zone de décharge qu'il faudrait
alors déplacer afin que le volume entassé
de gravats et de déchets n'augmente pas.
Ensuite,
organiser une opération de pompage afin d'assainir
la zone envahie d'eau stagnante même si cette action
n'est susceptible d'avoir qu'une portée limitée.
L'eau est, en effet, vraisemblablement issue d'une résurgence,
donc appelée à réapparaître
si le site ne fait pas l'objet d'un drainage par la suite.
Une fois la zone asséchée, il conviendrait
de la nettoyer systématiquement des détritus
qui la jalonnent.
Même
si les ruines memphites de Ramsès II ne doivent
jamais se trouver sur l'itinéraire touristique
des visiteurs qui se rendent en masse dans la nécropole
de Saqqarah, beaucoup plus impressionnante, même
si elles ne font pas l'objet de fouilles ou d'une étude
avant de nombreuses années, avec, somme toute,
assez peu de moyens elles seraient protégées,
au moins pour un temps, de ce que les anciens Egyptiens
redoutaient le plus : de l'oubli.
C'est
là le moindre des hommages que l'on puisse rendre
à ce lieu que le temps n'a guère épargné
et au roi qui croyait laisser dans les murs qu'il fit
élever son empreinte éternelle : « Le
temple de Ptah dans Hout-Ka-Ptah construit en matériaux
d'éternité, en excellente maçonnerie
de pierre parachevée avec de l'or et de réelles
gemmes [...] Je l'ai équipé avec des prêtres
et prophètes, serviteurs, champs, bétail,
je l'ai rendu propre à y célébrer
des fêtes avec des offrandes sacrées et des
myriades de choses... » (in Chr. Desroches-Noblecourt,
Ramsès II, la véritable histoire,
Paris, 1996, p.347).
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